Fonction formation : faire de la réforme un levier

Par le 22 septembre 2014

Nombre de responsables de formation s’inquiètent de la réforme : fin du budget plan « contraint », du DIF prioritaire, accès plus difficile au refinancement sur période de professionnalisation … Autant de motifs d’inquiétude, qui se traduisent souvent par la question : «comment défendre mon budget demain » ? Pourtant, la réforme peut être un levier pour augmenter la valeur perçue de la formation, et pour enrichir les solutions mises à disposition des salariés pour apprendre. Pour faire de la réforme un levier, il importe de traiter les questions qu’elle pose dans le bon ordre. Puis d’adopter la bonne posture.

Se poser les questions dans le bon ordre

Trop de RF se disent « attendons les décrets pour voir ce qu’il en est réellement ». La loi est promulguée depuis le 5 mars, et nombre de ses dispositions sont déjà applicables. Dès lors, il y a des questions à se poser dès maintenant, et d’autres qui peuvent attendre un peu. Deux questions à se poser dès maintenant, parce qu’elles impactent la construction du plan 2015.

1. Que faisons-nous de ce qui était « du domaine du DIF »

Nombre de RF se sont emparés du DIF pour mettre leurs salariés dans une dynamique d’apprentissage, en leur donnant l’initiative, souvent sur des domaines de formations bien spécifiés : anglais, bureautique … Pour le plan 2015, deux possibilités :

  • Abandonner cette politique, en laissant le plan centré sur l’initiative de l’employeur
  • Réintégrer ces formations courtes à l’initiative du salarié sur le « plan » – mais sur quelle catégorie ? et quel processus d’élaboration du plan ?

2. Que devient la catégorie 2 du plan de formation ?

Depuis le 5 mars dernier, toute action inscrite à la catégorie 2 du plan (développement des compétences » doit donner lieu à un co-engagement écrit préalable au départ de formation, dans lequel

  • Le salarié s’engage à être assidu à la formation et à participer aux épreuves de certification si il y en a
  • L’employeur s’engage à reconnaître l’effort de formation, et à donner accès prioritaire, dans un délai d’un an, à une fonction qui correspond aux connaissances acquises en formation. L 6321-8 Code du Travail

Alors, que sera la répartition entre les catégories pour 2015 ?

Pour les autres questions, le RF dispose d’un peux plus de temps. Mais d’abord, il importe de poser un diagnostic.

3. Quel sera l’impact financier de la réforme pour mon entreprise ?

Si l’entreprise emploie au moins 10 salariés, la réforme a un impact financier. Celui- ci se calcule assez facilement.
Sur les « 1 ,6% », quel est le montant que l’entreprise utilise aujourd’hui pour la formation de ses propres salariés (soit en gestion directe, soit via des reversements OPCA sur 0,5 ou sur 0,9) ?

Et demain, sur le 1%, quel est le montant que l’entreprise peut espérer retrouver pour le financement de la formation de ses propres salariés (au titre de la professionnalisation, ou du financement d’actions mobilisées sur le CPF qui intéresseraient l’entreprise) ?

A effort de formation constant, quel montant faudra-t’il donc ajouter demain au chèque de 1% pour retrouver la même somme allouée au financement de la formation des salariés de l’entreprise ?
Le surcoût varie suivant les cas :  plus l’entreprises bénéficiaient de refinancements, plus le surcoût est important. D’où la question « Quel budget formation pour demain »?

Selon les entreprises, l’effet psychologique lié au « 1% » sera plus ou moins important. Le chèque fait, les dépenses formation seront considérées comme d’autres dépenses de frais généraux.
D’aucuns pensent argumenter sur « l’obligation de former », l’enjeu juridique de l’obligation de former et l’échéance du bilan récapitulatif  tous les 6 ans.
Bien sûr.

Mais gageons que cela ne sera pas toujours suffisant. Et que d’autres arguments que ceux de la « formation obligatoire » aideront le RF à trouver le juste positionnement.

4. Quelle attitude adopter vis-à-vis du CPF ?

Nombre d’entreprises sont aujourd’hui consultées par leur branche professionnelle en vue de l’élaboration des listes CPNE. Beaucoup d’incertitudes subsistent, notamment sur les formations susceptibles d’être inscrites à l’inventaire – et cela est très gênant pour faire de la prospective sur la politique formation à venir.

Cependant, il est déjà possible d’élaborer des scenarii :

  • Un scénario dans lequel l’entreprise ne « s’empare pas » du CPF, s’en tenant à ses strictes obligations en matière d’information, et acceptant des demandes sur temps de travail « au cas par cas ».
  • Un autre dans lequel elle informe et accompagne les salariés, abonde les CPF intéressants pour l’ensemble des parties prenantes  …

Selon le scénario adopté, l’enjeu de la négociation d’entreprise, notamment sur l’abondement du CPF, sera différent.

5. Quelle offre de « solutions de développement » pour les salariés de l’entreprise ?

La réforme ne questionne pas que les aspects économiques de l’offre de formation.  Via le CPF et les nouvelles conditions d’éligibilité à la période de professionnalisation, elle pousse aux formations « qualifiantes », traduisant ainsi concrètement le « droit à la qualification professionnelle ».

Dès lors, la réflexion sur l’offre de formation se situe au sein d’une réflexion plus vaste qui englobe la gestion des parcours professionnels et des mobilités, la reconnaissance des compétences, et donc l’articulation compétences – qualifications.

Exemple : comment l’offre de formation peut elle venir « en miroir » des filières métiers, quels accès partiels à la certification pour jalonner un parcours ..
Dès lors, la fonction « Formation » devrait logiquement prendre un prisme plus large, englobant le développement des compétences dans son ensemble.

Développer des expertises clés … et adopter la bonne posture

Trop longtemps, la fonction formation a été « bloquée dans les cordes » de l’administratif. La 2483 jetée aux oubliettes –enfin, pas encore tout à fait – il n’est pas si évident que  les obligations administratives se réduisent fortement.  Une « déclaration administrative » se substituera à la déclaration fiscale. Et le fameux « état des lieux récapitulatif tous les 6 ans » oblige à une traçabilité renforcée des actions posées envers chacun.

Malgré tout, la réforme offre une vraie opportunité pour se positionner autrement. L’enjeu est de devenir prestataire de service interne, à l’écoute des besoins des opérationnels. La légitimité ne se gagnera pas en se repliant sur les aspects coercitifs de la loi, mais en se posant comme un expert incontournable pour construire des solutions apprenantes efficaces.

Un premier champ d’expertise à développer d’urgence, c’est celui de l’ingénierie de formation. S’assurer que la formation « formelle » arrive au bon moment pour les bonnes personnes. Affiner la qualification de la demande, valider que la formation est vraiment la solution, s’engager dans la multimodalité. ..

Les nouvelles ingénieries doivent procéder d’une approche systémique, faisant place à la fertilisation des apprentissages sociaux et informels. Ceci implique véritablement un nouveau positionnement. Fertiliser les apprentissages sociaux et informels exige de dialoguer avec une DSI, des responsables opérationnels (pour apporter des « aides en ligne » mobilisables en fonction du besoin en situation de travail, pour faciliter l’émergence de communautés professionnelles sur les réseaux sociaux de l’entreprise …), avec les dirigeants en charge de l’organisation du travail, de la configuration des lieux de travail, du système managérial …

Construire les solutions apprenantes d’aujourd’hui passe par la maîtrise de gestion des projets complexes. Mais aussi par une nouvelle posture. De mon point de vue, c’est là le défi majeur posé à la fonction formation : se sentir suffisamment légitime pour devenir consultant interne en solutions d’apprentissages.

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Vincent Bogaers Il y a 9 années

Le Sycfi, le syndicat des consultants formateurs indépendants (CFI) organise les 2nde Assises des CFI à Paris, le 12/11. Vous pouvez vous inscrire directement sur le site : www;sycfi.org.

Bien chaleureusement,
Vincent, pour l’équipe réseaux du Sycfi

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 9 années

    @Vincent Merci de l’information, qui va sûrement intéresser beaucoup d’organismes et de formateurs !

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Cecile Il y a 10 années

« Fertiliser les apprentissages sociaux et informels …(pour apporter des « aides en ligne » mobilisables en fonction du besoin en situation de travail, pour faciliter l’émergence de communautés professionnelles sur les réseaux sociaux de l’entreprise …), » Y-a-t-il moyen de traver ces « heures de formation informelles » dans nos LMS ? je vois ce genre d’actions se multiplier mais je suis incapable dans les traces, les quantifier et donc les valoriser comme action de formation.

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 10 années

    @Cecile A vouloir « tracker » l’informel … on risque fort de le tuer. Par définition, l’informel échappe au contrôle et à la quantification. Il s’agit de le fertiliser. Comment le valoriser ? Non comme une « action de formation » – puisque ce vocable nous renvoie à l’univers du formel. Il y a certainement d’autres pistes à trouver (enquêtes ? recensement des pratiques observées ?), votre question ouvre un champ d’investigation.

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oger mariefrance Il y a 10 années

demande d’un conseil sur les cours d’anglais : actuellement ces actions rentaient dans le cadre du DIF
faut il les abandonner même au titre du pan de formation et les proposer dans le cadre du CPF
nous dépendons de la convention collective d’e l’industrie pharma
merci de votre retour rapide
MFG OGER
nous oomes

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 10 années

    @Marie France L’anglais en soi n’est pas éligible au CPF. Les certifications (TOIC, TOEFL ..) le seront vraisemblablement. A vous de décider ce que vous réintégrez dans le plan.

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    jerome Il y a 9 années

    Bonjour Marie france ,

    je pense que pour le moment il n y a pas assez de recul sur le CPF et surtout sur le socle commun qui peut comporter des formations de langues.

    Il y aura plus de visibilité à partir de fin janvier ou certains décrets seront parus ; après dans le financement et l optimisation des coûts vous pouvez toujours vous retourner vers votre Opca pour voir ce qu’il peut votre proposer voir si vous ne pouvez pas bénéficier d’actions collectives comme propose beaucoup OPCA.

    cordialement

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ABOUZIT Il y a 10 années

Avez-vous une idée de ce que va devenir le bilan de compétences qui était éligible dans le cadre du Dif ?

Merci

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 10 années

    @Abouzit Le bilan de compétences demeure. Il reste éligible au titre du CIF ou du plan de formation. Il peut être l’aboutissement d’un Conseil en Evolution Professionnelle. Mais il est vrai que sa non éligibilité au CPF peut être un frein.

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    ABOUZIT Il y a 10 années

    Merci beaucoup pour votre réponse.

    Ces dernières années, nous avions vu monter les demandes au titre du DIF, et les personnes étaient très satisfaites de cette utilisation.

    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 10 années

    @Abouzit Oui, la loi va obliger à « redistribuer les cartes » entre plan, CIF et CPF… La question se pose, me semble t’il, dès l’élaboration du plan 2015 : ne faut il pas laisser une place aux formations ou bilan qui étaient jusqu’à présent à l’initiative du salarié dans le cadre du DIF ? Et cela ne devrait il pas modifier le processus d’élaboration du plan lui-même?

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    ABOUZIT Il y a 10 années

    Entièrement d’accord avec votre analyse !!!

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Emile Il y a 10 années

Article assez intéressant, mais on reste un peu sur sa faim, car certaines phrases sont écrites dans un jargon plutôt opaque (ex : Les nouvelles ingénieries doivent procéder d’une approche systémique, faisant place à la fertilisation des apprentissages sociaux et informels. Ceci implique véritablement un nouveau positionnement..) et les solutions proposées sont à peine esquissées.

En revanche l’idée centrale : que le responsable de formation pourra devenir « consultant interne en solutions d’apprentissages » me paraît très juste. Encore faut-il que les entreprises française commencent à prendre la formation au sérieux, ce qui n’est pas souvent le cas.

J’ajouterais qu’un des enjeux majeurs dans les années qui viennent va être l’évaluation et la validation des compétences acquises, en particulier pour les formations transversales. Il va falloir de plus en plus « prouver » l’efficacité concrète en termes d’évolution des compétences des parcours de formation et trouver des outils précis pour mesurer le retour sur investissement. Un chantier intéressant pour des RFs ambitieux, car tout reste à faire dans ce domaine.

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 10 années

    @Emile Désolée pour le jargon :-)! Mais comment dire autrement qu’il convient de passer d’une approche « produit » (le stage, le module …) à une approche « système », qui prenne en compte l’ensemble des leviers – et des freins- aux apprentissages, dans l’environnement de l’apprenant ? Bien d’accord avec vous sur l’importance de l’évaluation et de la preuve de la valeur.

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Charlon Il y a 10 années

Bonjour
Je suis particulièrement d’accord sur la question de l’ingénierie de formation et les solutions aujourd’hui innovantes proposées aussi grâce à des solutions LMS ou en rapid learning qui peuvent permettre d’envisager la formation pour les salariés non pas comme contrainte ou comme une obligation… mais comme une nouvelle manière de concevoir l’apprentissage et passer outre certains blocages du passé…
Pour en savoir sur les méthodes innovantes, vous trouverez des exemples sur mon blog:
http://interface35.blogspot.fr/
Bonne soirée

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 10 années

    @Charlon Merci, et bravo pour votre blog, très « pro » !

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