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Apprentissages informels : quel poids réel dans le développement des compétences professionnelles ?

Dans certaines entreprises, le modèle 70-20-10 est érigé en dogme. Mais qu’en est il réellement ? Et comment bien l’utiliser ?

Pourquoi cette « vogue » des apprentissages informels ?

Parce que les cycles technologiques et économiques se sont accélérés. Le savoir devient hautement périssable. Le temps de développement d’une solution formelle de formation est souvent trop long au regard de cette accélération : telle la cavalerie, la formation arrive souvent trop tard.

Une étude de Bersin, en 2009, indiquait que « 78% des chefs d’entreprise estiment que le taux de renouvellement et la rapidité de circulation de l’information pose un défi de formation majeure  à leur organisation ».

Robert Kelley, de Carnegie Mellon, a demandé à des « travailleurs du savoir » (knowledge workers) « Quel pourcentage des connaissances dont vous avez besoin pour faire votre travail est emmagasiné dans votre cerveau ? ».

Et aujourd’hui, où en sommes-nous ? Sûrement moins encore.

Les connaissances que  nous utilisons pour notre travail sont embarquées dans les systèmes d’information, et dans le réseau des personnes avec lesquelles nous travaillons. Ce qui importe n’est pas de mémoriser, mais de savoir où trouver rapidement une information qualifiée et à jour … et de savoir l’utiliser de façon opportune pour résoudre des problèmes en situation de travail.

Une autre raison à cette vogue des apprentissages informels est d’ordre économique. Laisser les apprentissages générer spontanément coûterait moins cher que d’organiser des formations, perturberait moins l’activité opérationnelle.

Dans son livre « Unformal learning » (2007) Jay Cross pointe la disproportion entre le poids considérable des apprentissages informels dans le développement des compétences et le peu de budget qui est consacré à leur facilitation – à l’inverse de celui consacré aux situations formelles.

Quel poids réel des apprentissages informels dans le développement des compétences ?

Le « 70-20-10 » est presque devenu un dogme dans certaines entreprises. Ce modèle prétend que, en situation professionnelle :

Mais au fait, d’où vient ce modèle ?

Il a été développé à partir des années 60 par  Morgan Mc Call et ses collègues du « Centre de Leadership Créatif » (CCL). Michael Lombardo et Robert Eichinger ont publié en 1996 (avant l’émergence d’internet) les résultats d’une enquête auprès de managers anglo-saxons de haut niveau,  sur une base auto-déclarative. L’étude portait sur la façon dont s’était développée leur carrière : « Les managers qui réussissent attribuent l’acquisition de leurs compétences à … ». A noter que cette étude assimile les lectures à des situations de formation formelle, ce qui est un peu surprenant.

De leur côté, Philippe Carré et Olivier Charbonnier réalisent, en France, dans des milieux professionnels divers, une étude publiée en 2003 sous le titre « Les apprentissages professionnels informels » (L’Harmattan). Là encore, l’étude s’appuie sur une base auto-déclarative, à partir d’un questionnaire comprenant de nombreux items.

Je regroupe les réponses en 4 grandes familles dans le diagramme ci-dessous

 

Là encore, les résultats donnent la primauté à l’expérience et à l’échange informel. Le « top 3 » des situations apprenantes étant :

P. Carré et O. Charbonnier distinguent plusieurs types d’apprentissages informels, et soulignent aussi que certains peuvent être indésirables. Exemple : un technicien de maintenance montre à son jeune collègue comment mettre hors de fonctionnement le dispositif de sécurité d’une machine, pour intervenir plus vite dessus …

Ne pas faire dire à ces chiffres n’importe quoi

La « proportion » 70-2010 n’est un pas un « nombre d’or » valable pour tous et dans toutes les situations. C’est ce que confirme Charles Jennings lui-même, l’un des promoteurs du modèle, dans la réponse qu’il fait à une critique : « Poser le 70-20-10 comme une règle est « à côté de la plaque ». Il s’agit de poser un cadre pour aligner la stratégie de développement avec le « monde réel », il ne s’agit pas de nombres »  Voir le billet critique et les réponses de Charles Jennings.

Ce qui est vrai pour des managers qui évoluent vers des postes de direction ne l’est pas forcément dans d’autres contextes.

Cela ne veut pas dire que la formation formelle est inopérante

De mon point de vue, ces études ne remettent absolument pas en cause l’utilité des situations formelles. Ce n’est pas parce qu’un évènement intervient moins souvent qu’il est moins important. Au contraire, la situation d’apprentissage formel doit être la pépite d’or dans la rivière, le temps nécessaire à l’acquisition de méthodes et de grilles de lecture des situations. Temps protégé  de la prise de recul, de la conceptualisation, du  droit à l’erreur. La formation formelle facilite la transférabilité des savoir faire, et  permet, justement, de mieux apprendre de l’expérience et des échanges.

Bien utiliser ces approches

Le grand intérêt de ces approches, c’est de situer les apprentissages dans une perspective systémique.

Dire que l’on apprend essentiellement de l’expérience, oui. Mais en combinant cette expérience avec des situations d’échanges et de coopération et des temps de formation.

Le risque serait de s’en remettre au hasard des apprentissages sur le terrain, ou sociaux, faisant ainsi reposer  la responsabilité du développement de ses propres compétences sur le salarié lui-même et sur la chance …

Mais si l’on admet que nous apprenons tous en faisant et en échangeant, et que les temps de formation sont forcément limités, alors il devient important de faciliter les apprentissages informels et de « faire système ».
Ce que nos amis anglos saxons appellent créer un « paysage d’apprentissages » (learning landscape) ou encore de nouvelles « architectures d’apprentissages » (learning architectures). A suivre …