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Le DIF est mort, vive le Compte Personnel de Formation ?

La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi (JO du 16 juin) crée un « compte personnel de formation » (CPF), prenant ainsi la suite de l’ANI de janvier 2013. La loi prévoit que le Gouvernement présente, avant le 1er janvier 2014, « un rapport au Parlement sur les modalités de fonctionnement du CPF et sur les modalités de sa substitution au droit individuel de formation ».

La fin du DIF est donc programmée. Elle interviendra à la mise en place effective du CPF, qui n’interviendra qu’au 1/01/2015 au plus tôt.

Et tout laisse à penser que le CPF ne remplacera pas le DIF : son objet, ses modalités de mise en œuvre, et sans doute son financement, différeront sans doute largement du dispositif actuel. 

Le DIF, une belle occasion ratée

Le DIF était une belle idée. Il « donnait la main » au salarié ou au demandeur d’emploi, concrétisant ainsi l’importance de l’auto-détermination des apprentissages dans la réussite du projet individuel de formation. Il impliquait, entre le salarié et le représentant de l’employeur, entre le demandeur d’emploi et son conseiller Pôle emploi, un dialogue sur ce même projet.

C’était un pari sur l’intelligence, et je suis triste de constater qu’il a été perdu. Le taux d’accès des salariés est resté faible au final (6,5%  en 2010, selon l’étude du Céreq), car peu d’acteurs se le sont appropriés.

Il n’a pas été porté par les syndicats de salariés, qui pourtant étaient tous signataires des ANI de 2003. Crainte de voir reporter sur le salarié la responsabilité du « devoir de se former » ? D’une déresponsabilisation concomitante de l’entreprise ?

Il a été accueilli avec la plus grande frilosité par la majorité des employeurs. Crainte de ne pas maîtriser les coûts de la formation ? Peur de perdre du pouvoir en donnant la main aux salariés sur le choix des actions ?

Il a été mal compris par les salariés, qui y ont vu un droit « en plus » de ce que faisait déjà l’employeur, et ont adopté le comportement de l’écureuil en gardant leur compteur plein, alors que leur intérêt était de le mobiliser afin de déclencher automatiquement sa « redotation ».

Au final, à de rares exceptions près qu’il faut saluer, le DIF n’a vécu que comme un effet d’aubaine, du type « on-accepte-les-DIF-refinancés-par-l’OPCA ». Il n’a pas été le levier qui aurait permis de repenser l’articulation entre projets collectifs de formation issus des enjeux de l’entreprise et projets individuels. Dommage.

Le CPF ne se situera pas dans la continuité du  DIF

Ainsi que l’indiquait Jean-Pierre Willems dans ses explications lumineuses lors du Jeudi de l’AFREF du 20 juin, le CPF « se construit en marchant » : personne ne sait exactement aujourd’hui comment il fonctionnera.

Ce qui apparaît à la lecture des textes, c’est que le CPF n’a pas la même finalité que le DIF, et sans doute que les modalités de sa mobilisation, et de son financement, seront différentes.

Le CPF, ce sera pour qui ?

L’ANI de janvier 2013 se voulait très ambitieux, et pose le principe d’un CPF :

Et la loi de juin 2013 reprend bien ces principes, précisant que l’ouverture du compte se fait pour chaque personne « dès son entrée sur le marché du travail, indépendamment de son statut ».

Les bénéficiaires du CPF

En réalité, lorsque l’on explore les déclarations des parties prenantes, « l’universalité » du CPF apparaît limitée, au moins dans un premier temps qui risque de se prolonger, à trois catégories de bénéficiaires :

Le projet de loi sur la refondation de l’école, adopté par le Parlement le 25 juin, crée un  » droit à la formation différée » : les élèves qui ont achevé leur scolarité obligatoire sans obtenir de qualification doivent « pouvoir poursuivre des études afin d’acquérir  (un diplôme ou un titre de niveau V) ». Ils bénéficient « d’une durée complémentaire de formation qualifiante » (décret prévu). Ainsi que l’indique l’AEF (dépêche n° 183131 du 24/05), ce droit pourrait « représenter le premier étage du CPF ».

Le CPF a donc une partie de destinataires commune avec le DIF – et son « universalité » exclut pour l’instant les fonctionnaires, les  travailleurs indépendants, les agriculteurs… ce qui fait pas mal de monde…

Précisons qu’il est « comptabilisé en heures », « mobilisé par la personne lorsqu’elle accède à la formation à titre individuel, qu’elle soit salarié ou demandeur d’emploi », « intégralement transférable » (en heures) « en cas de changement ou de perte d’emploi », et qu’il « ne peut en aucun cas être débité sans l’accord exprès de son titulaire ». (loi du 14 juin).

Mais ses modalités de mise en œuvre, et son financement, vont très probablement s’inscrire dans l’orientation générale de la réforme en cours de la formation professionnelle : « organiser et faciliter l’accès à la formation professionnelle de ceux qui en ont le plus besoin » (F. Hollande, mars 2013)

La question clé : qui paye ?

Il est possible que les négociations en cours aboutissent à une réforme en profondeur du financement de la formation professionnelle. Ainsi que l’indiquait Michel Sapin à l’AEF (dépêche n°180832 du 29/03/13), il s’agit d’orienter « plus encore les fonds de la formation professionnelle vers ceux qui en ont le plus besoin : les demandeurs d’emploi, les jeunes, (…) les salariés démunis devant les mutations économiques et technologiques. Les modalités de mise en œuvre et de financement du CPF (…) seront au cœur de la démarche ».

Pour véritablement accéder à la qualification, 120 heures sont souvent insuffisantes.

On voit donc se dessiner un système dans lequel le CPF fonctionnera par abondements, dans un cadre qui devrait largement dépasser la relation salarié – employeur ou demandeur d’emploi – conseiller.

Pour les salariés, le CPF est alimenté « chaque année selon les modalités prévues aux articles L 6323-1 à L 6323-5 » – comme le DIF actuel, donc.

Mais il est également alimenté « par des abondements complémentaires, notamment par l’Etat ou la Région, en vue de favoriser l’accès à l’une des qualifications prévues à l’article L 6314-1 » – le droit à la qualification professionnelle pour les personnes sorties sans qualification du système scolaire.

En l’état actuel des différents textes et déclarations, on peut donc prendre l’hypothèse que le CPF s’exercera bien différemment selon les situations.

Pour les salariés

Pour les demandeurs d’emploi

Pour les personnes sans qualification

Dans ses propositions, l’ARF fait une subtile distinction entre titulaire du CPF et bénéficiaire du CPF. Certes, chacun serait « titulaire ». Mais « pour devenir « bénéficiaire », l’individu devrait remplir des conditions de mise en œuvre du droit (conditions d’ouverture, crédit, abondements éventuels).

De son côté, le MEDEF (AEF, Dépêche du 12 juin 13 n° 184059) indique que « les actions de formation réalisées dans le cadre du compte doivent avoir pour objet l’acquisition du socle de compétences (…) ou l’acquisition d’une qualification ou d’une certification développant l’employabilité ». Entendre par là, précisait Christophe Coriou (Directeur de mission Projets et financements de la formation professionnelle – MEDEF) lors de la réunion de l’AFREF, les formations inscrites au RNCP, ou bien sur une liste supplémentaires parce qu’elles aboutissent à des certifications de personne (le CACES, par exemple).

Le DIF s’inscrivait dans la relation salarié – employeur, ou demandeur d’emploi – conseiller Pôle Emploi. Le CPF déborde largement ce cadre. Il ne sera universel ni dans les titulaires potentiels d’un compte, ni dans les formations accessibles. Il sera avant tout un outil de lutte contre l’exclusion du marché du travail.

Le CPF en infographie

 

Pour aller plus loin

Formation : Construire et mettre en oeuvre un plan de formation

Formation : Les fondamentaux du droit de la formation