Engager, Expliquer, Expérimenter, Explorer, Embarquer. « 5E » pour synthétiser, à la lumière des neurosciences et des sciences de l’éducation, les principes qui sous-tendent nos pratiques de formateurs et les expériences que nous créons pour nos apprenants.
« Il faut motiver les apprenants ! » entend-on souvent. Oui, mais comment le faire d’une manière productive pour leurs apprentissages ? Et d’ailleurs, peut-on « motiver » quelqu’un ?
Que nous disent les neurosciences à propos de la motivation ?La dopamine est un neuromédiateur – une molécule chimique qui assure la transmission des messages d’un neurone à l’autre, au niveau des synapses. Elle joue un rôle central dans la motivation. Elle est « le neuromédiateur du plaisir et de la récompense que le cerveau libère lors d’une expérience qu’il juge bénéfique (..) ». « En plus de procurer du plaisir, il est démontré que les activités d’apprentissage qui augmentent la dopamine favorisent l’attention et la motivation. Les travaux les plus récents suggèrent que la dopamine serait directement à l’origine de la consolidation synaptique dans l’apprentissage » *. Lorsque l’apprenant comprend, il identifie un schéma (pattern recognition), c’est-à-dire qu’il fait des liens entre des éléments qu’il n’avait pas reliés jusque-là. Lorsque cela se produit, sa production de dopamine est augmentée. Le circuit neuronal qui a été mobilisé pour le « pattern recognition » s’en trouve renforcé, et sera ensuite plus facilement utilisé. La tendance à la « gamification » en formation est cohérente du point de vue des neurosciences. Les jeux vidéo sont en effet des « stimulateurs de dopamine » (ce qui explique leur caractère addictif !) :
*Les citations de ce passage sont empruntées à Neurolearning. Medjad/ Gil/ Lacroix. Eyrolles 2017*. |
Engager, c’est donc intégrer un ensemble de pratiques cohérentes. Cohérentes du point de vue des neurosciences. Et au regard de ce que l’on sait des leviers de motivation à apprendre.
Quels sont ces leviers, et que peut-on faire pour susciter leur activation ?
Levier 1 – L’auto-détermination
La motivation est composée de « forces internes et/ ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement » (R. Vallerand et E. Thill).
La motivation est un puissant levier d’apprentissage. Elle entraine la proactivité, l’autorégulation des comportements. Elle affecte les processus cognitifs: attention, traitement de l’information.
On sait qu’il existe deux sortes de motivation, et que l’une est plus efficace que l’autre pour apprendre
La motivation « extrinsèque » résulte d’une circonstance extérieure à l’individu : menace de sanction, pression sociale, promesse de récompense, recherche d’approbation… La motivation « intrinsèque » provient de l’intérêt et du plaisir que l’individu trouve à l’action, sans attendre de récompense externe.
Deci et Ryan établissent ainsi un « continuum d’autodétermination », depuis la motivation extrinsèque contrôlée (tu seras sanctionné/ récompensé si tu ne participes pas/ participes à cette formation) jusqu’à la « motivation intrinsèque intégrée », dans laquelle le sujet agit à partir d’une pleine conscience de sa liberté de décision, et en totale congruence avec son « soi » profond.
Trouver sa propre motivation « intrinsèque », c’est, pour l’individu « incorporer la forme de progrès proposée par l’action de formation au projet d’auto-développement qu’il se forme pour lui-même », (Nuttin).
Il y a donc le but à atteindre, au moyen de la formation, d’une part. La conception que la personne a d’elle-même, d’autre part. Et la synthèse entre ces éléments se fait dans la détermination par la personne de son projet de formation : la personne préside alors à son propre développement.
Les comportements intrinsèquement motivés font preuve de meilleure créativité, d’une plus grande persévérance face à l’adversité et d’une meilleure concentration.
Par conséquent, une ingénierie de formation qui renforce la motivation extrinsèque peut provoquer des apprentissages de surface. Elle peut être utile s’il y a de fortes résistances. Cependant, il n’y a que la motivation autodéterminée « de l’intérieur » qui soit efficace sur le long terme.
Application : dans l’ingénierie contemporaine des dispositifs de formation, la liberté est donnée à l’apprenant de co-construire son parcours de formation : choix des modules, de l’ordre dans lequel ils sont effectués, du rythme d’apprentissage… Cette auto-détermination renforce la motivation intrinsèque des participants. |
Levier 2 – Le sentiment d’efficacité personnelle (self-efficacity)
« L’auto-efficacité perçue concerne les croyances des gens dans leur capacité à agir de façon à maîtriser les évènements qui affectent leurs existences » (Albert Bandura).
Nous avons tendance à éviter les tâches et les situations auxquelles nous nous jugeons inaptes à faire face (et inversement). Les personnes dont le sentiment d’efficacité personnelle est élevé tendront à se fixer des objectifs plus élevés. La perception de l’auto-efficacité intervient également dans la persistance des efforts en cours d’action, surtout en situation d’évaluation. Ce sentiment représente un vecteur majeur de la performance dans les apprentissages.
Applications : la prise en compte de la « zone proximale de développement » (Lev Vygotski) – celle qui se situe entre l’autonomie et la zone de rupture, dans les situations proposées, permet à chaque apprenant de se mobiliser : le défi est engageant, mais il reste réaliste. Le sentiment d’efficacité personnelle est préservé.
L’accompagnement de l’apprenant est intégré à la conception du dispositif, et mobilise fonction tutorale et/ ou managériale. Voir ce retour d’expérience des DLEA La bienveillance, la coopération, la qualité des feedbacks, confortent le sentiment d’efficacité personnelle. |
Levier 3 – La valeur perçue de la formation proposée
Elle reflète à la fois l’importance perçue du motif d’engagement en formation et l’instrumentalité de la formation au regard des buts poursuivis (Vroom). Son rôle est d’autant plus important lorsque les motivations sont d’ordre extrinsèque.
En quoi cette action m’aidera-t-elle à atteindre mes propres buts ? Quel est le rapport entre l’effort qui m’est demandé et les résultats que j’obtiendrai ? sont des questions prégnantes pour les participants à faible motivation intrinsèque.
Application : le design contemporain de formation accorde une grande importance à la communication, en amont mais aussi tout au long et en aval du dispositif.
La dimension « on the job » des dispositifs, en croissance, permet de matérialiser concrètement l’instrumentalité de la formation : les problèmes concrets rencontrés appellent les connaissances et les pratiques de référence apportés par la formation, qui eux-mêmes peuvent être immédiatement transposés. |
- Expliquer, le 2ème des 5E pour former et apprendre.
- Expérimenter, le 3ème des 5E pour former et apprendre.
Le livre « Neurolearning », de N. Medjad, P. Gil et P. Lacroix, publié chez Eyrolles en 2017, s’est révélé d’un apport particulièrement précieux, et nous les remercions pour l’autorisation de citation qu’ils nous ont donnée.
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C. Rostin Il y a 4 années
Bonjour,
Je voudrais savoir s’il existe une formation portant sur les 5E.
Merci par avance de votre réponse.
Mathilde Bourdat Il y a 4 années
@C. Rostin Nous intégrons les contenus de ces billets dans nos formations sur la conception de formation, et la conception des dispositifs multimodaux. Par exemple cette formation tout à distance : https://www.cegos.fr/search?q=Concevoir+un+dispositif+de+formation+full+digital
Aymond Il y a 5 années
Un article intéressant qui fait la jonction entre théorie psychologique et neurosciences.
Mathilde Bourdat Il y a 5 années
@Aymon, Merci de votre commentaire !
manczak Il y a 5 années
bonsoir la lecture de ce blog est intéressante, car elle conceptualise la notion d’apprentissage et d’enseignant avec un regard scientifique et relationnel que l’on ne réalise pas.
Effectivement on apprend autant des autres que ce que l’on peut leur apporté .
l’échange entre élève et enseignant est primordial et dans ma vie professionnelle j’en fais souvent l’expérience, mais je n’avais pas eu l’occasion de théoriser sur ce point, donc lecture très intéressante
Mathilde Bourdat Il y a 5 années
@manczak Merci de votre retour !
Arlène St-Pierre Il y a 6 années
Bonjour, votre article est très intéressant. Seriez-vous intéressée à animer un atelier ou une conférence de 90 minutes sur le sujet dans le cadre des « Journées de perfectionnement annuel » de la Corporation des conseillères et conseillers pédagogiques en formation professionnelle et technique (CCCPFPT – http://www.cccpfpt.qc.ca)? L’événement se déroulera les 21 et 22 mars 2019. Dans l’affirmative, je vous invite à me contacter.
Mathilde Bourdat Il y a 6 années
@Arlène St-Pierre Un grand merci, je suis très honorée ! Je vous contacte par mail.
Seve Il y a 6 années
Merci pour ces informations précieuses ! Vivement les articles suivants
Mathilde Bourdat Il y a 6 années
@Seve Merci pour votre retour très positif !
Mathilde Bourdat Il y a 6 années
@Gherib Jamal Merci beaucoup de votre retour !
GHERIB JAMAL Il y a 6 années
MERCI POUR CETTE RECHERCHE EN NEUROSCIENCE TRÈS INTÉRESSENT.
PARANT Il y a 6 années
Merci,
Il n’est pas si courant d’avoir un éclairage des leviers d’apprentissage par les neurosciences d’une telle clarté. Une lecture précieuse pour tout pédagogue animateur ou concepteur d’outils distanciels
Mathilde Bourdat Il y a 6 années
@Parant Merci pour ce retour très encourageant !
Marie Il y a 6 années
Très intéressant! Je pense lire le livre cité à la fin car je fais déjà des formations «on-the-job», rien de tel pour être au plus près des besoins professionnels. Merci encore.
Mathilde Bourdat Il y a 6 années
@Marie, oui ce livre est passionnant !
horeau Il y a 6 années
Merci pour ces apports clairs.
Mathilde Bourdat Il y a 6 années
@horeau merci de votre retour très positif.