Tuteurs, mentors, que transmettre aujourd’hui ?

Par le 19 mars 2012

Une passionnante réunion de l’AFREF, le mois dernier, posait la question du tutorat et de la transmission des savoirs. Au fil des interventions, une question s’est dégagée : que transmettre et pourquoi ? Dans une période de « crise de la transmission », est ce un hasard si la fonction tutorale connaît un tel renouveau, si le mentorat émerge dans les entreprises françaises ?

Dans un billet précédent, nous avons observé les différences entre tutorat et mentoring, le premier davantage centré sur les savoirs à faire partager, l’autre sur la relation. Mais, dans les deux cas, il y a bien un enjeu de transmission. Transmission des savoirs métier , de la culture, des valeurs, des codes.

Il y a-t-il encore quelque chose à transmettre ?

Mais dans un monde où « le changement » -organisationnel, technologique… – devient une fin en soi, est il toujours pertinent de vouloir transmettre ? Et, si oui, que transmettre et pourquoi ?

« Il y a cinquante ans, la question de la transmission du savoir ne se posait pas, elle se faisait tout naturellement et de manière informelle », indique Pierre Boisard, chercheur au CNRS.

« Les évolutions étaient lentes, les savoir faire anciens ne se dévalorisaient pas ». Interrogation que rejoint Patrice Guézou (Veolia Environnement) : « Quid du transfert des savoirs lorsqu’un Groupe se restructure profondément » ?

La transmission est nécessaire à la préservation du corps social

Transmettre interroge le rapport d’un groupe social à son passé – qu’est ce qui était pertinent hier, qui l’est toujours aujourd’hui, mais aussi à son avenir –qu’est ce qui sera encore pertinent demain ?  Ainsi, souligne Pierre Boisard, la crise de la transmission reflète « une crise plus générale d’inscription de nos Sociétés dans l’histoire. Le présent n’est plus une continuité et une introduction à un futur, il devient une succession événements sans lien entre eux – la transmission devient alors impossible ».

Et pourtant… « on peut encore faire de la transmission, et on doit en faire » reprend P. Boisard. En effet, « la question du tutorat est symptomatique de la cohésion sociale », précise Patrice Guézou : « sans transmission, c’est le corps social qui meurt ». « Les compétences sont de l’ordre d’un construit partagé, qui mérite d’être entretenu. Les savoirs spécifiques de l’entreprise sont portés par des individus qui décident de coopérer : c’est ce qui permet la transmission et la performance, bien plus que les logiciels et les organisations formelles… ». « C’est un collectif qui transmet », souligne F. Fievre-Debout, du CFA SACEF.

Dans ce sens, la question de la transmission est cruciale. La formalisation d’une politique de tutorat ou de mentorat oblige à la poser dans le contexte propre de l’entreprise.

La relation tutorale, ou mentorale, dépasse  l’interrelation entre la personne accompagnée et son tuteur/ mentor pour questionner l’ensemble de la politique Ressources Humaines de l’entreprise : évolution des besoins en compétences, mobilité, gestion des carrières… Mettre en place tutorat ou mentorat implique » une prise de conscience, par l’entreprise, du fait qu’il n’y a pas de substituabilité des salariés » (P.Guézou).

Que veut transmettre l’entreprise et pourquoi ?

Dès lors, il me semble que toute réflexion sur le dispositif de tutorat ou de mentorat dans l’entreprise devrait partir de cette question.

Comme l’indique F. Fievre-Debout, la question du « que transmettre » est étroitement liée aux finalités assignées à la mise en place du tutorat. Par exemple, si le tutorat s’inscrit dans une politique d’accueil de salariés en alternance, les savoirs transmis ne seront pas les mêmes selon que la perspective est d’embaucher ces personnes en fin de contrat d’apprentissage ou de professionnalisation –ou non. Dans le premier cas, il s’agira avant tout de transmettre le corpus de savoirs, mais aussi de codes, de rites, de mythes spécifiques à l’entreprise. Dans le deuxième cas, l’accent sera mis davantage sur les compétences –métiers ou transversales- qui pourront être réinvesties dans d’autres contextes.

L’enjeu de la transmission de la « culture d’entreprise » est d’ailleurs différent d’un secteur de l’économie à l’autre. Un article de la série « L’Art de la stratégie » (e-learning HEC – Les Echos ) montre que la corrélation entre forte culture d’entreprise et performance se vérifie dans certains secteurs,  là où « la concurrence est forte, les fournisseurs ou les clients sont en position de force, les marges sont faibles » (le secteur textile, par exemple).

A contrario, il n’y a pas de corrélation entre forte culture d’entreprise et performance lorsque le niveau de concurrence est relativement faible, sur  des marchés complexes et dynamiques (le secteur de la communication, par exemple).

Quelles conditions pour une transmission de qualité ?

Une fois que l’entreprise  a déterminé ses « raisons de transmettre » – et ce qu’elle veut transmettre, reste à créer le « terrain favorable ». Et, comme Laurent le disait la semaine dernière à propos des formateurs, « il ne suffit pas de former les tuteurs ». On pourra se référer, pour amorcer cette réflexion, à un billet précédent.

Ainsi, Patrice Guézou fait très justement remarquer l’ironie de la situation : les deux acteurs généralement « pointés du doigt » dans la relation tutorale – le jeune salarié ou la personne en professionnalisation d’un côté, le salarié « senior » de l’autre, sont justement ceux qui sont les moins bien positionnés sur le terrain de la stabilité de l’emploi… « Que dire du tuteur qui voit des salariés de sa classe d’âge licenciés et remplacés par… d’anciens apprentis !» demande F. Fievre-Debout.

La posture tutorale ou mentorale exige d’abord, de la part du tuteur ou du mentor, estime de soi, fierté de ses savoirs, et confiance dans la pérennité de son emploi. Au-delà, c’est l’ensemble du corps social qui doit adhérer au projet – et le tutorat doit donc trouver son inscription dans la politique générale de l’emploi de l’entreprise (B. Masingue).

Les signes de reconnaissance (des tuteurs ou mentors mais aussi des personnes accompagnées), les rites, les « temps forts » doivent « maintenir la dynamique en permanence » (P. Guzou). Ce sont chacune des parties prenantes qui doivent « se sentir solidaires des engagements pris ».

Un billet d’ISP formation donne une belle définition de la transmission : « La transmission met (…) l’accent sur la recherche d’un passage de relais, une relation de confiance. Celui qui cherche à transmettre espère rencontrer la liberté de celui qui reçoit ». Passer le relais pour que l’essentiel perdure au-delà des contingences organisationnelles : une belle manière de redonner du sens.

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