Animer une communauté d’apprenants, oui mais comment ?

Par le 6 février 2017

Dans un billet précédent, nous avons vu qu’il était important de bien positionner l’intention pédagogique présidant à la création d’une communauté d’apprenants. Et qu’une communauté d’apprentissage, née à l’occasion d’une formation formelle, peut évoluer vers une communauté de pratiques. Mais, une fois l’intention posée, quels sont les ingrédients de la réussite ?

Animer une communauté

Ne sommes-nous pas nombreux à avoir été déçus par le faible nombre de posts sur une communauté lancée dans l’enthousiasme ? La réussite d’une communauté résulte de l’engagement de ses membres autant que de celui de ses administrateurs. Et pour que cette communauté soit « apprenante », il convient de prendre en compte la façon dont les participants y apprennent, et de maintenir sans cesse leur intérêt.

Fixer des règles… oui mais pas trop

Un article intitulé « Du collectif d’apprenants à la commuauté d’apprentissage« , publié par cursus.edu en novembre 2011, tire les conclusions d’une étude publiée par Charles Delalonde et Thierry Isckia. Cette étude porte sur un module de formation à distance, adressé à des étudiants, jeunes et adultes, d’une université américaine. Elle nous aide à comprendre les dysfonctionnements rencontrés et proposer des solutions.

Dans la situation étudiée, constate l’étude, « la communauté d’apprentissage n’existe pas ». Le scénario pédagogique et le dispositif technique ne parviennent pas à la créer. Les règles posées par l’équipe enseignante (poser au moins 2 questions sur le forum et répondre à au moins 2 questions posées par les autres) ont stérilisé la démarche dynamique d’apprentissage au sein de la communauté. Il y a bien eu entraide entre les étudiants, mais complètement à côté du dispositif prévu, via des rencontres physiques ou sur les propres réseaux sociaux des étudiants, voire par mail.

Mélanie Bos Ciussi dans sa thèse pré-citée, aboutit à ce même paradoxe à propos des communautés d’apprenants : sans règles, il n’y a pas d’interaction. Mais l’obligation peut entraver l’émergence des communautés. Il y a donc « un défi pour l’enseignant entre le lâcher prise et le contrôle » : créer intentionnellement des activités d’apprentissage favorisant l’auto-organisation, diriger un processus de participation spontané vers des outils non contrôlés. Le rôle de l’enseignant est de « planifier des tâches de nature collaboratives centrées autour de la problématique du cours. »

Leçon à tirer : il ne suffit pas d’avoir un groupe d’apprenants, même sur toute une année universitaire, pour qu’il y ait une communauté d’apprentissage. « Vous ne pouvez pas juste ajouter un espace de discussion en ligne et attendre que les gens aient des activités sociales » écrit Jane Hart. Vous ne pouvez pas non plus les forcer à être « sociaux », poursuit-elle, en déconseillant les activités du genre « vous devez publier x posts avant de poursuivre le cours ».

Alors, quelles solutions ?

Comprendre comment on apprend, et ce qu’on apprend, dans une communauté en ligne

Une étude publiée sous l’égide de la Commission européenne en 2010, « Pedagogical Innovation in New Learning Communities« , s’intéresse à la façon dont les communautés virtuelles sont des espaces d’apprentissage. Parmi les 12 communautés étudiées, 2 seulement ont pour intention explicite de permettre à leurs membres d’apprendre. Et cependant, toutes permettent à leurs membres de réaliser des apprentissages significatifs. Ces apprentissages sont très majoritairement informels, et non intentionnels. Ils adviennent essentiellement au gré des échanges entre pairs. Ce ne sont donc pas les experts qui jouent un rôle déterminant dans les apprentissages au sein d’une communauté virtuelle. Et ceci, indépendamment du fait que la communauté ait ou non pour objectif explicite de faciliter les apprentissages de ses membres.

Et ces apprentissages vont largement au-delà du centre d’intérêt partagé dans la communauté : ce sont aussi des apprentissages digitaux (s’approprier toutes les fonctionnalités de la plate-forme d’échanges), sociaux (respecter les règles de la discussion, argumenter et prendre en compte les arguments des autres), socio-cognitifs (remettre en causes ses représentations après confrontation des points de vus ..), esprit critique (apprécier la pertinence d’une ressource « postée » sur la communauté…

Les sources d’apprentissage dans une communauté virtuelle sont donc largement produites par ses membres interactions, partage, compréhension, acceptation, commentaire, production et défense de ses propres points de vue .. « Les modèles pédagogiques les plus répandus sont challengés par un nouvel équilibre entre apprendre et enseigner [entre] acquérir un savoir codifié et créer de nouveaux savoirs… ». Ces nouveaux savoirs créés par la communauté sont eux-même un « mix entre des savoirs codifiés et de nouvelles connaissances développées collaborativement ».

Maintenir l’intérêt sans relâche

Mais le rôle des administrateurs n’est pas pour antant négligeable, loin de là. Plus riches sont les possibilités offertes aux participants, plus ils apprennent. Ainsi, pour l’une des communautés étudiées dans l’étude pré-citée, les membres apprennent de 6 manières différentes :

  • en lisant des posts,
  • en regardant des vidéos,
  • en posant des questions,
  • en répondant à des questions d’autres membres,
  • en s’engageant dans des conversations avec d’autres membres, sur les forums ou les « chats » proposés,
  • en passant des tests,
  • en interagissant en anglais (il s’agit d’une plate forme dédiée à l’apprentissage collaboratif de l’anglais, englishforums.com).

Dans d’autres communautés, les administrateurs s’attachent à faciliter autant que possible l’expression des membres en leur donnant de multiples possibilités d’expression : poster des vidéos, des dessins, des diapositives…

Il appartient aux administrateurs d’impulser le partage de contenus, l’ouverture de discussions, et de veiller à la fiabilité des informations et au respect des règles. Créer la surprise, renouveler l’intérêt, favoriser le sentiment d’appartenance et de reconnaissance, sont des rôles cruciaux.

Quelques conditions de réussite

L’étude pointe les fondamentaux à respecter :

  • la technologie utilisée doit « fournir des outils adaptés, qui encouragent l’expression et le réseau social »,
  • « l’information disponible dans la communauté doit être fiable »,
  • « l’intérêt des membres de la communauté doit être soutenu »,
  • « les membres doivent être éduqués, au travers de codes de conduite et de règles, à auto-gérer leurs processus d’apprentissage. Dans les communautés où l’apprentissage est un objectif explicite, une préoccupation clé est de renforcer les dispositions à l’apprentissage  » (to empower individuals’ learning attitudes) des participants.

Le premier point nous renvoie à l’importance du paramétrage de la plate-forme.

Dans une étude citée dans le billet précédent, Delalonde et Istiak proposent des solutions issues du modèle d’entraide et d’écoute de « Caring », adaptée du monde médical.

Les trois phases distinctes du modèle de Caring sont « Receiving » (attention) – « Responding » (écoute entre les membres) – « Remaining » (constance).

On verra dans l’article de Thot Cursus « Du collectif d’apprenants à la communauté d’apprentissage » la traduction de ces critères dans le paramétrage des fonctionnalités « sociales » de la plate forme : profils renseignés, catégorisation des posts, « likes »… et dynamique de l’animation.

Dans tous les cas, la participation doit être encouragée, reconnue. Et l’instauration de la confiance – qui ne doit ne pas être critiqué(e), moqué(e) – est un élément essentiel à la vie de la communauté.

Pourquoi ça marche dans les MOOC ?

Avez-vous suivi le MOOC « Réaliser des vidéos pro avec son smartphone« , de l’École des Gobelins ? Les interactions formateurs/participants, ou participants/participants, s’y déroulaient sur deux endroits distincts :

  • la plate-forme du MOOC, des forums , les « devoirs » à poster, les corrections entre pairs…
  • facebook, le groupe « MOOC vidéo de Gobelins« .

Très vite, les différences d’usages sont marquées. Sur la plate-forme, on remarque peu d’échanges participants/participants, surtout une prise d’informations : la FAQ permettant de préciser les consignes, et un lieu pour « poster » les livrables à remettre… Sur le groupe facebook, extrêmement vivant et durable au-delà du MOOC lui-même, de riches échanges participants : « bons tuyaux », analyse comparée des matériels, mise en valeur de ses propres productions… Pendant le MOOC, le groupe facebook consolait certains participants déçus de la note obtenue via l’évaluation entre pairs, sur l’autre plate forme !

Il y a donc un environnement créé par l’équipe enseignante, un climat de confiance et d’ouverture, qui facilite les échanges et la collaboration autour d’un objet d’apprentissage partagé et motivant. Et ce que les apprenants en font, que les formateurs ne maîtrisent pas.

Des pistes pour animer sa communauté

Vous vous dites que c’est formidable, vous avez envie, en tant que formateur, de promouvoir les apprentissages sociaux et de susciter des communautés d’apprentissage? Allez vite sur le site e-book.coop–tic, vous y trouverez d’excellentes ressources, et vous pourrez constituer vous-même votre e-book à partir des fiches qui vous intéressent :

  • les concepts, ou la coopération en 28 mots clés,
  • les méthodes, pour animer des dispositifs coopératifs, coproduire des documents, comprendre ce qui se passe dans le groupe…,
  • des fiches sur les outils de collaboration et de curation.

Vous pouvez aussi suivre les bons conseils de la page « Animer sa communauté de pratique » du wiki de l’université de Montréal et télécharger (gratuitement) le guide de l’animateur de communauté sur le blog de Jean-Michel Cornu.

Enfin, vous pouvez interagir avec Denis Cristol, et lire les questions-réponses existantes, sur son forum des communautés en ligne.

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Grégoire Il y a 7 années

Merci Mathilde, très intéressant. C’est vrai que bien souvent les solutions techniques qui prééxistent sur les LMS sont un peu rigides et c’est l’informel qui prend le relai (dans le meilleur des cas). Ca pose un problème pour les prestataires : difficile de vendre une solution en expliquant que les apprenants iront sur Facebook…
Et merci pour les liens.

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 7 années

    @Grégoire Merci, c’est un plaisir de vous retrouver parmi les lecteurs du blog 🙂 !

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