Professionnalisation : de quoi parle-t’on ?

Par le 15 février 2016

« Professionnalisation », « parcours professionnalisant », « professionnaliser »… le mot est devenu un leitmotiv, une sorte de gage de légitimité des actions de formation. Mais que recouvrent ces termes ? Et quelle est leur actualité, dans un monde en mutation ?

Des acceptions différentes

Le mot a plusieurs acceptions  différentes, que l’article de Richard Wittorski « La professionnalisation » (Revue Savoirs, 2008) nous aide à décoder.

Dans le monde anglo-saxon, la professionnalisation se réfère aux actions mises en œuvre « par un groupe d’individus partageant la même activité, qui ont la volonté  de s’organiser en tant que profession libérale ». Par exemple, la profession d’avocat, la profession d’infirmières … Dans ce modèle, les professions « peuvent être définies par 3 critères : la spécialisation du savoir, une formation de haut niveau, et un idéal de service ».

En France, écrit R. Wittorski*, « les enjeux portés par les organisations ne concernent pas la constitution des professions dans l’espace social, mais (…) l’intention d’accompagner la flexibilité du travail, la modification continue des compétences en lien avec l’évolution des situations de travail».

Face à l’impossibilité de tout prescrire, il s’agit de mobiliser les ressources subjectives des individus, afin  de résoudre les problèmes posés, de prendre des décisions.

Un processus permettant de construire et développer ses compétences

« Professionnaliser » désigne pour G. Le Boterf (*) le processus permettant de construire et développer ses compétences.

« Le choix du terme professionnalisation », note C. Guitton (*), traduit la volonté et la recherche par les pouvoirs publics « d’un nouveau mode d’articulation de la relation formation-emploi », privilégiant l’expérience professionnelle par rapport à la formation, et les compétences acquises en situation de travail plutôt qu’en situation de formation, initiale notamment ».

Il s’agit, indique R. Wittorski, « d’intégrer dans un même mouvement l’action au travail, l’analyse de la pratique professionnelle et l’expérimentation de nouvelles façons de travailler ». «(…) « Cela engage un ancrage plus fort des actions de formation par rapport aux situations de travail ».

Un processus de professionnalisation s’inscrit donc sur trois temps :

Les 3 temps

Comme le note R. Wittorski, du côté de l’organisation, la professionnalisation renvoie à la ‘logique compétences ». Tandis que, côté individu, elle renvoie à la logique de la qualification renvoi billet blog .Il s’agit aussi d’acquérir une identité professionnelle, ou d’en réendosser une nouvelle, et d’être reconnu en tant que « professionnel », par ses collègues, son organisation, la Société.

Si « se professionnaliser » relève d’une démarche individuelle, la professionnalisation a toujours une dimension collective, elle ne vaut que dans le regard des autres.

Finalement, il apparaît que la professionnalisation est porteuse d’enjeux différents pour les acteurs qu’elle implique :

 

Trois acteurs

 

La réussite du processus de professionnalisation est une affaire de responsabilité partagée, et de transactions, entre ces trois acteurs :

Transactions

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Professionnalisation : le triptyque compétences/ identité/ reconnaissance

La professionnalisation recouvre donc simultanément le développement de compétences, d’une identité professionnelle, et une reconnaissance.
Des contradictions peuvent émerger dans chacun de ces pôles

Pôle compétences

  • Un dispositif qui donne des ressources et entraîne à les combiner pour résoudre des problèmes posés dans l’activité. Guy Le Boterf a défini la compétence comme la capacité de combiner différentes ressources pour agir avec performance dans un contexte donné.
  • C’est pourquoi la professionnalisation ne se réduit pas à la formation. La formation donne des ressources (des savoirs, des pratiques de référence, des grilles de lecture des situations …), entraîne à les combiner (simulations, études de cas…), donne le droit à l’erreur et le temps de la réflexivité. Mais la professionnalisation suppose d’aller jusqu’à la production de la compétence en situation réelle, et d’accompagner l’aller-retour entre formation et travail. Car seule la situation réelle produit l’alchimie de la compétence.

Première difficulté, donc, d’un dispositif de professionnalisation : organiser et faire vivre une véritable alternance, productrice de compétences. Et non pas la simple juxtaposition de temps de formation et de temps de travail, déconnectés entre eux.

Reconnaissons que relativement peu de dispositifs de formation d’adultes dits « professionnalisants » font véritablement vivre une alternance de ce type. Une façon de résoudre la difficulté peut être de s’appuyer en formation sur des livrables produits par l’apprenant en situation de travail, voir à ce sujet le billet Formateur scénariste, apprenant producteur.

Pôle identité professionnelle

Langage partagé, identité professionnelle ressentie et confortée par le regard des autres .. «Au quotidien, la professionnalisation se construit ainsi par et dans l’élaboration identitaire qui dépend d’une reconnaissance par les autres des compétences et des savoirs produits » écrit R. Wittorski *.

Les concepteurs du parcours professionnalisant,  se doivent de prendre en compte et d’outiller cette construction de l’identité professionnelle.

Pour Dubar, « l’espace de reconnaissance des identités est  inséparable des espaces de légitimation des savoirs et des compétences associées aux identités ».

Dans l’entreprise, l’outillage RH des cartographies métiers, des passerelles et des filières, des qualifications reconnues,  « donne à lire »  les identités reconnues. En formation, il s’agira de faire vivre le lexique professionnel, de faire entrer la personne dans le discours que le métier produit sur lui-même.

Pôle reconnaissance

Les enjeux divergents des acteurs font potentiellement  émerger une contradiction :

  • Côté entreprise, la nécessité de contextualiser le développement des compétences, d’être au plus près de ses particularismes techniques, organisationnels …
  • Côté individus, l’enjeu de l’employabilité, et donc de la transférabilité des compétences ainsi développées, de leur reconnaissance sur le marché du travail.

Le danger serait de faire rimer « professionnaliser » avec « spécialiser ». « Certains métiers créés il y a 15 ans n’existent déjà plus, c’est très compliqué (…) de s’adapter à ce rythme effréné » indiquait Jacques Peyrondet, Président de Digital Aquitaine à l’UHFP 2016.

Etre « professionnel », c’est disposer des connaissances fondamentales, des méthodes de raisonnement et d’analyse, qui permettront de faire évoluer ses pratiques dans des contextes mouvants, de sélectionner les informations pertinentes, d’ancrer de nouveaux savoirs.

L’acquisition d’une qualification, ou au moins d’une certification reconnue, apparaît comme le moyen de résoudre cette contradiction. Elle est un implicitement un objet de transaction : « acquérir les compétences dont l’entreprise a besoin » versus « être reconnu au-delà du périmètre de l’entreprise ».

Mais le risque est ici évident de « figer » des référentiels, alors que les savoir faire requis sur le terrain sont mouvants. Beaucoup de référentiels sont aujourd’hui conjointement élaborés par les organismes de formation et les experts des entreprises. Encore faut’il incorporer le système de maintenance du référentiel dès sa création …

 La dimension « action de formation débouchant sur une évaluation certificative » prime aujourd’hui dans l’acception couramment admise de la professionnalisation.
Elle ne doit pas faire oublier ses autres composantes.

A suivre …

 

Sources :

Claude Dubar, 1998. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles. Armand Colin.
Guitton C. La professionnalisation, nouvelle catégorie de l’intervention publique. Formation Emploi n°70, Avril-Juin 2000.
Le Boterf Guy, 1994 De la compétence, Essai sur un attracteur étrange. Editions d’Organisation
Le Boterf Guy, 1996 De la compétence à la navigation professionnelle. Editions d’Organisation
Alpha Centre et Structure A propos de la professionnalisation, 2004
Wittorski Richard, La professionnalisation, Savoirs, 2008 

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Paklounon Il y a 2 années

Ce document m’a été d’une grande utilité. Merci au concepteur

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Aina Il y a 3 années

Bonjour, dans quel ouvrage faites vous référence exactement pour cette phrase :
« Professionnaliser » désigne pour G. Le Boterf (*) le processus permettant de construire et développer ses compétences.
Merci

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BOURGOU Il y a 3 années

Je désire dela documentation sur la professionnalisation de l’EFTP au Burkina Faso

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djongon Il y a 3 années

je souhaite avoir les informations sur le professionnalition

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NONGNI Il y a 5 années

Bonsoir Mathilde,
J’ai vraiment apprécié votre article. peut-on dans un système éducatif parler de professionnalisation sans avoir au préalable professionnalisé les programmes, les enseignants/formateurs et les dispositifs de formation?

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 5 années

    @Nongni Merci de votre retour. Professionnaliser les formateurs, certainement !

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bariza HADJ MEBAREK Il y a 5 années

Bonjour,
Je souhaiterais savoir où avez vous trouvé les schémas qui illustrent vos propos sur la professionnalisation. le lien cairn info ne les mentionne pas. Est-ce une création à partir des réflexions de M. Wittorski?
Merci par avance pour votre réponse.
BHM

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 5 années

    @Bariza Hadj Mebarek Oui, c’est une schématisation à partir de l’article de M. Wittorski. Merci de votre lecture attentive !

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Abid Il y a 6 années

Bonjour,

Je souhaiterais savoir où vous avez trouver le schéma intitulé « les trois temps de la professionnalisation » je ne parviens pas à mettre la main dessus, même en allant dans tous les écrits de R. Wittorski. La professionnalisation, Savoirs, 2008 et bien d’autres travaux .Et c’est pareil pour les autres schémas. J’ai besoin de cette information pour mieux m’aider à décrire ce schéma pour un mémoire d’étude. Merci par avance.
Malika Abid

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Marie-Pier Dumais Il y a 8 années

J’ai bien apprécié votre article, madame Bourdat! Je suis particulièrement d’accord avec le passage où vous indiquez que la réussite du processus de professionnalisation est une affaire de responsabilité partagée et l’image qui s’en suit. Malheureusement, je pense vivre une situation où le lien entre l’organisation et l’individu est plus ou moins présent avec mon ordre professionnel, qui nous oblige à participer à des heures de formation continue. Dans la politique de formation continue obligatoire de mon ordre professionnel, on met l’accent sur l’acquisition de compétences et le développement des habiletés. Nos heures de formation sont comptabilisées chaque année. Cependant, rien ne vient prouver l’acquisition des compétences, puisque plusieurs formations n’offrent pas la chance d’évaluer l’acquisition des nouvelles notions. Il est donc facile pour un membre de mon ordre professionnel d’aller assister à ces heures de formation continue obligatoires sans y porter aucun intérêt et d’être tout de même considéré comme un professionnel qui respect les critères de performance demandés par l’ordre. Cette situation est trop souvent fréquente! Je crois que mon ordre professionnel devrait se pencher sur cette question afin de remplir pleinement son rôle. Les membres de mon ordre devraient aussi garder en tête l’acquisition d’un savoir agir pertinent pour eux-mêmes et leur travail avant de chercher à plaire aux exigences de notre ordre. Merci à vous!

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 8 années

    @Marie-Pier Dumais Oui, je partage votre point de vue sur l’absurdité des heures de formation obligatoires. Cette situation se retrouve dans plusieurs formations réglementées. Une piste serait de s’appuyer sur les ouvertures actuellement proposées par la DGEFP, visant à considérer, sous certaines conditions, que des activités orientées vers l’acquisition ou le perfectionnement de compétences peuvent être organisées au travail. Et de comptabiliser ces heures de « formation terrain » dans les quotas d’heures obligatoires. Une autre piste serait, au niveau des ordres ou des syndicats professionnels, de redonsidérer l’opportunité de ces quotas d’heures, en prenant en compte les nouvelles façons d’apprendre.

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Jean-Pierre Il y a 8 années

Excellent article. Un grand merci pour votre éclairage.

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 8 années

    @Jean-Pierre Merci de votre retour très encourageant !

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Romain Il y a 8 années

Bonjour,

Un point m’interroge. La question de la construction de l’identité professionnelle. Il me semblait que cette dernière renvoyait beaucoup plus à la notion de qualification, soit qu’elle le soit par une certification, soit qu’elle le soit par une reconnaissance CCN. Or, de nombreux discours autour du financement de la formation distingue ceux visant à la qualification et ceux visant à la professionnalisation (adaptation/ perfectionnement des compétences). Il subsiste encore beaucoup de confusion. Le contrat de professionnalisation ou période de professionnalisation qui ne visent aujourd’hui presque plus que les actions qualifiantes permettaient l’origine de financer des formation construites sur des référentiel de compétences sans lien avec une qualification ou identité professionnelle.

Concernant la question de la reconnaissance, elle renvoi à la question de la rémunération des compétences détenues. En l’absence de politique de rémunération des compétences des professionnels, il ne reste que la qualification, plus figée mais aussi plus seule juge de paix entre employeurs et salariés (et leur représentants). Il est probable que l’on puisse être un bon professionnel sans la qualification, mais qui fixera le bon niveau de rémunération ?

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Stéphanie Il y a 8 années

Bonjour,
Je rectifie le lien de mon précédent commentaire, c’était un lien mort. Le nouveau est dans ce commentaire. Merci.
Je me permets de laisser un commentaire, je suis étudiante en Master en Sciences de l’Education et de la Formation pour Adulte et m’intéresse dans le cadre de mon mémoire aux besoins des adultes apprenants en formation management. Certains d’entre vous ont-ils eu l’occasion de suivre des formations de manager (quelles qu’elles soient), si oui, je vous transmets un lien vers un questionnaire (totalement anonyme) dont j’aimerai exploiter les résultats dans le cadre de mon travail de recherche.
Le questionnaire se trouve sur le lien suivant:
https://docs.google.com/forms/d/1p5bjythNco93FPHwiYZSTSS0roPCby1wt3IqB6zuCgI/viewform

Merci par avance de vos participations
Merci par avance de vos participations

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Alexandre Il y a 8 années

Merci pour cet éclairage.
La professionnalisation ne pose-t-elle pas l’immuable problème de l’expression des besoins des organisations en matière de formation ?
On veut du personnel certifié, habilité ou qualifié pour garantir une certaine employabilité, mais le principal n’est-il pas un salarié reconnu et donc motivé ?

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 8 années

    @Alexandre Oui, la certification sans reconnaissance véritable perd sa valeur …

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Stéphanie Il y a 8 années

Bonjour,
Je me permets de laisser un commentaire, je suis étudiante en Master en Sciences de l’Education et de la Formation pour Adulte et m’intéresse dans le cadre de mon mémoire aux besoins des adultes apprenants en formation management. Certains d’entre vous ont-ils eu l’occasion de suivre des formations de manager (quelles qu’elles soient), si oui, je vous transmets un lien vers un questionnaire (totalement anonyme) dont j’aimerai exploiter les résultats dans le cadre de mon travail de recherche.
Le questionnaire se trouve sur le lien suivant:
https://docs.google.com/forms/d/1p5bjythNco93FPHwiYZSTSS0roPCby1wt3IqB6zuCgI/prefill
Merci par avance de vos participations

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    Alexandre Il y a 8 années

    Stéphanie,
    Votre lien demande une approbation, ce qui ne facilite pas l’accès. Vous devriez le rendre public si vous voulez plus de réponses.
    Cordialement

    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 8 années

    @Stéphanie Je vous conseille de poster également votre questionnaire sur le blog « Management » de mes collègues : http://www.blog-management.fr/

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LE DUC Il y a 8 années

Votre article est intéressant mais il oublie de mentionner le rôle des organisations professionnelles pour défendre leur territoire et leur qualification spécifique …et irremplaçable.

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 8 années

    @Le Duc Bonne remarque. Il me semble que ce rôle de « défense des territoires et des qualifications » se réfère à une conception plus anglo saxonne de la professionnalisation, vue comme une organisation et une défense des intérêts d’une profession. Mon billet s’est plus référé aux auteurs français, qui inscrivent la professionnalisation dans le champ du développement des compétences en environnement mouvant.

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granchette Il y a 8 années

Merci
très bonne synthèse -très opérationnelle pour accompagner les acteurs sur le terrain.

Répondre
    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 8 années

    @Granchette Merci pour ce retour très encourageant !

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