La formation professionnelle bientôt cannibalisée par les pure-players du digital ?

Par le 9 novembre 2015

De nouveaux acteurs, comme les incontournables Google, Apple, Facebook et Amazon et autres start-up, se sont lancés dans un sprint pour transformer chaque insatisfaction client en une idée de nouveau business. Ils ne cachent plus leurs envies d’élargir leur « terrain de jeu » en cannibalisant d’autres secteurs comme l’énergie, l’édition, le tourisme, l’assurance, la finance et la musique par exemple.

A qui le tour ? Ça pourrait bien être celui, entre autres, de notre cher secteur de la formation professionnelle.

Mais comment mesurer notre exposition ? ICP consulting propose une grille de lecture très intéressante autour de 3 modes opératoires des « nouveaux barbares » de l’économie mondiale :

Les 3 modes opératoires des nouveaux "barbares" de l'économie mondiale

1. Le core business

Attaquer le core business c’est attaquer le cœur d’activité d’une entreprise historique avec de nouveaux modèles économiques et des avantages concurrentiels basés sur de nouveaux usages, une nouvelle techno et une agilité organisationnelle permettant d’être rapidement en adéquation avec les attentes du marché et des clients.

Dans cette catégorie, on peut citer BlaBLaCar qui, avec un nouveau business model (l’économie du partage) et des technologies adaptées, transporte l’équivalent de 2000 rames TGV par an.

Et dans le monde de la formation me direz-vous ?

Et bien nous pouvons par exemple citer dans cette catégorie OpenClassrooms, start-up française que l’on retrouve en 2015 dans le classement du magazine Wired « Europe’s Hottest startups ».

Openclassrooms

Depuis cette année, ce leader en Europe du secteur des MOOC, propose des parcours de formation assemblant plusieurs modules pour parvenir à réussir un projet ou à s’orienter vers un nouveau métier.

En juin 2015, OpenClassrooms a ouvert le premier titre professionnel de niveau II reconnu par l’État entièrement en ligne, identique à une école traditionnelle. Avec un modèle économique de type Freemium (c’est-à-dire atteindre une masse critique d’utilisateurs par la gratuité du service puis proposer des fonctionnalités payantes), l’abonnement payant permet par exemple d’être suivi par un tuteur par le biais de visioconférences. Ils vendent aussi des prestations d’ingénierie pédagogique à destination des établissements scolaires et des entreprises qui souhaitent créer des cours en ligne. Alors, ça y’est, vous les voyez venir ?

2. L’intermédiation

L’intermédiation, c’est jouer le rôle d’intermédiaire entre le client et le cœur d’activité d’une entreprise historique. Ces acteurs-là, comme le souligne ICP consulting, « se positionnent comme le 1er point de contact dans la chaine de valeur, captent la transaction et accaparent la donnée client grâce à une qualité de service innovante et souvent multimarque ». Il s’agit sans doute de la menace qui requiert la plus grande attention tant ces acteurs peuvent devenir incontournables dans l’apport d’affaire des acteurs traditionnels (et rogner sur leurs marges).

L’exemple de « Booking.com » est sans doute le plus éloquent : saviez-vous que les intermédiaires comme Booking.com représentent environ 18% des réservations des hôtels du groupe Accor et réalise 15% de marge sur cette part de réservation ? (Source: Accor Digital Day 2014).

Et dans le monde de la formation me direz-vous ?

J’ai choisi de vous parler ici d’Hyperbolyk, jeune start-up, 1ère Marketplace d’achats de formations qui permet d’entrer directement en contact avec une multitude d’organismes de formations et de leur acheter en ligne par paiement sécurisé des stages courts (1 à 7 jours) sur un modèle « Booking.com ». La start-up se rémunère ainsi par un pourcentage sur chaque formation vendue, car c’est par le biais du site que l’offre et la demande se rencontrent, en misant évidemment sur l’expérience utilisateur.  Là encore, vous (et votre marge) les sentez arriver ?

3. « Over The Top »

Attaquer « Over The Top », c’est développer une nouvelle chaine de valeur au sein d’un secteur d’activité, imaginer de nouveaux usages connectés en réponse à de nouvelles attentes encore non exprimées par les consommateurs. ICP consulting précise que le succès de ces nouveaux acteurs « résulte de leur capacité à proposer des expériences utilisateurs nouvelles, utiles et étonnantes ». TripAdvisor (tourisme) ou Shazam (musique) se situent ainsi à la périphérie du cœur d’activité du secteur en proposant des nouveaux services rendus possibles par la technologie mais que les acteurs traditionnels n’ont pas vu arriver.

Et dans le monde de la formation me direz-vous ?

J’ai longtemps hésité avant de placer LinkedIn dans cette catégorie. Ses intentions exactes sont encore un peu floues mais son potentiel est énorme. En effet, l’acquisition en début d’année de lynda.com, spécialiste de la formation en ligne (dans notre core business) pour un montant de 1,5 milliards de dollars –  soit la quatrième plus importante acquisition dans les médias sociaux ! –  a fini de me convaincre. Cela illustre quand même assez bien ses ambitions « over the top » de notre secteur. Ce réseau social BtoB est ainsi en capacité de recommander et de mettre en relation, avec son algorithme puissant, des personnes avec des offres d’emploi, des offres d’emploi avec les compétences nécessaires pour les exercer et donc désormais les formations permettant de les acquérir. LinkedIn pourra ainsi recommander différentes formations professionnelles (d’abord les siennes ?) pour évoluer et obtenir le job de ses rêves. Avec ses 350 millions de membres, espérons que nous fassions partie de ces recommandations, n’est-ce pas ?

Je vous invite à enrichir et catégoriser la liste des nouveaux acteurs du secteur dans les commentaires !

Et pour conclure ce billet par une analogie, évoquons le syndrome de la grenouille. Si vous en plongez une dans une marmite d’eau froide que vous réchauffez à feu doux, cette dernière, dans un premier temps, ne va pas réagir, trouvant cela plutôt agréable. Mais elle va petit à petit s’affaiblir et va finir par bouillir. Si la même grenouille avait été plongée directement dans l’eau à 50 degrés, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l’aurait éjectée aussitôt de la marmite.

Alors si nous ne sommes pas, comme la grenouille, déjà à moitié cuits, donnons le coup de patte salutaire avant qu’il ne soit trop tard. Autrement dit, auto cannibalisons-nous, sinon les « nouveaux barbares » le feront à notre place !

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PELLE Il y a 6 années

Excellente analyse en effet, il semblerait également que nos jeunes occuperont des métiers demain, dont 50 % n’existent pas encore. Et si nous nous centrions vraiment sur l’apprenant et ses attentes au lieu de proposer des cours standardisés? j’ai eu l’occasion de proposer des séances courtes de coaching d’une heure en appui d’une formation que je n’avais pas moi même animée et j’ai clairement eu le sentiment que cette heure en face à face skype avait été plus profitable à chaque participant que les 2 jours passés en salle.

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Cornelius Il y a 6 années

Excellente analyse qui motive à revoir le modèle économique de la formation professionnelle.
Des formats courts sans suivi, même bien documentés,n’apportent pas la compétence. Ecouter ne veut pas dire savoir y faire…
La formation de masse produit de juteux profits à ceux qui la dispensent, mais n’enrichit pas forcément le bénéficiaire…

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Juda Il y a 6 années

Super analyse, Grégory. Je rajoute http://giftcourse.online à la catégorie Core business, conçu par un ancien dirigeant de Google.
Je trouve que l’idée d’auto-cannibalisation a du sens. Il s’agit bien de croquer et de faire croquer ses contenus autrement….
Amazon ouvre sa première librairie à Seattle…

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Elias Il y a 7 années

Je pense que Udemy est en train de rafler la mise, il écrase la concurrence aux USA et de plus en plus de ses cours sont gratuits sur de courtes périodes (https://comidoc.com)
Une uberisation de la formation en quelque sorte

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garcon Il y a 8 années

bonjour,

conseillere a pole emploi et depuis quelques mois (juillet 2015) ambassadrice de l’offre de service digitale de pole emploi., une de mes missions consistent a promouvoir emploi store aupres des usagers mais aussi collaborateurs. finalement je crois que je dois participer à l’auto cannibalisation des outils numériques. 😉 . si je pouvais beneficier de quelques conseils de votre part, je serais tres heureuse. pour cet convaincre mes collegues de l’efficacité des ces outils je dois faire le lien avec notre pratique quotidienne de conseiller. aussi pour le moment j’expérimente l’articulation outils numeriques /conduite d’entretien physique). la 2e etape consistera a présenter ces expériences auprès des mes collègues. je peine justement sur l’articulation …. que me conseillez vous et notamment comment lecture ou mooc ou autres ? je serais heureuse de partager cette expérience avec d’autres alors n’hésitez pas 🙂 plus on est de fous et plus ont rit

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    Mathilde Bourdat

    Mathilde Bourdat Il y a 8 années

    @Garcon Il y a le MOOC RH digital qui pourrait vous être utile, je pense. Voir aussi les démarches d’Axa et d’Orange pour former leurs salariés au dgital, avec entre autres des bibliothèques de vidéos courtes et pédagogiques pour acquérir des « connaissances et habiletés digitales », accessibles à tous sur Youtube.

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Jean Michel Gautheron Il y a 8 années

Très pertinente analyse qui trace les bonnes perspectives

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Mathilde Bourdat

Mathilde Bourdat Il y a 8 années

Et un autre billet,excellent :face à la transition numérique, les 5 étapes du déni
https://medium.com/welcome-to-thefamily/les-cinq-étapes-du-déni-a7a06072c9fc

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Mathilde Bourdat

Mathilde Bourdat Il y a 8 années

Un complément sur les modèles économiques de « l’ubérisation » http://lavap.blogspot.fr/2015/11/luberisation-expliquee-mon-chef.html

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duporte Il y a 8 années

Bonjour, je trouve votre post excellent et très pertinent. Je suis en Master 2 en formation continue et mon sujet d’étude traite justement du nouveau modèle économique des centres de formation et d’une transformation vers le digital. Serait-il possible de vous contacter afin que nous échangions ? En attendant votre réponse.
Valérie D.

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Rahali Naoufal Il y a 8 années

Bonjour,

Je vous remercie pour l’analyse super pertinent et qui nous mette la puce à l’oreille. Personnellement, j’étais sur la conception d’un projet de formation dans le sens traditionnel mais grâce à votre analyse, je change complètement de modèle!
Merci encore une fois Grégory !

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Ben Hernaire Il y a 8 années

Article très intéressant.
J’aurais une question complémentaire. Selon vous quelle peut être la réaction des acteurs publics ? En effet, le CPF est mobilisable pour les demandeurs d’emploi comme pour les salariés, et ils constituent ainsi une cible potentielle (et d’un volume important) pour les nouveaux acteurs. Les politiques publiques post-réforme, notamment celles des Régions, vont devoir tenir compte de ce nouvel environnement. Les acteurs publics ne devraient ils pas s’auto-cannibaliser également afin d’accompagner ces évolutions ? Peut on dire que c’est de cela qu’il s’agit avec la création de l’emploi store ?

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    Grégory GALLIC

    Grégory GALLIC Il y a 8 années

    Bonjour Ben et merci pour votre contribution. Je pense bien sûr – comme vous a priori – que les acteurs publics sont également concernés, qu’ils doivent innover, simplifier les processus, gagner en agilité pour offrir aux demandeurs d’emploi ou aux salariés toujours plus de services, une expérience « client » utile et confortable. Sinon, d’autres acteurs le feront à leur place. Je ne suis pas un spécialiste du secteur mais j’ai quand même l’impression que les lignes bougent et le site http://www.emploi-store.fr/portail/accueil de Pôle Emploi est d’ailleurs un excellent exemple et une très belle réalisation.

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Laurence Chabry Il y a 8 années

Super analyse, Grégory. Je rajoute https://www.coorpacademy.com/ à la catégorie Core business, conçu par un ancien dirigeant de Google.
Je trouve que l’idée d’auto-cannibalisation a du sens. Il s’agit bien de croquer et de faire croquer ses contenus autrement….
Amazon ouvre sa première librairie à Seattle…

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    Grégory GALLIC

    Grégory GALLIC Il y a 8 années

    Merci Laurence. En effet Coorpacademy s’ajoute à la liste des acteurs qui prennent place dans le paysage. J’aime beaucoup ta manière de décrire notre « auto-cannibalisation » !

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hague Il y a 8 années

Bonjour, je n’ai pas compris le sens de la dernière phrase de votre billet. Que voulez-vous dire?

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    Gallic Grégory

    Gallic Grégory Il y a 8 années

    Bonjour,
    Je comprends votre incompréhension car le terme « auto-cannibalisons-nous » n’est pas forcément le plus approprié. Stricto sensu, cela reviendrait à un suicide, c’est la raison pour laquelle je l’ai mis entre guillemets. J’aurais pu choisir d’autres termes comme « disruptons-nous » (pas très français) ou « uberisons-nous » (je n’aime pas trop et le modèle ICP démontre qu’il est réducteur). J’aurais peut-être dû utiliser simplement le verbe « innovons… » Bref ce que veux dire c’est qu’il est temps de revoir nos processus pour gagner en agilité, innover sur nos prestations, nos services, sortir du cadre de nos habitudes, etc. pour conserver la préférence de nos apprenants.

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Vuillaume Il y a 8 années

Merci Gregory pour cet excellent billet … On peut ajouter d’autres tentatives d’ubérisation de la formation comme la plateforme Udemy Teach (https://teach.udemy.com/) ou encore le nouveau discours des fournisseurs de LMS sur le « collaborative learning » censé permettre à leurs clients de se passer des « coûteux formateurs », …
Pour autant, à mon avis, la grenouille n’est pas condamnée car le feu sous la casserole va baisser et, comme elle a déjà commencé à muter, elle pourrait bien faire mieux que survivre ….

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    GALLIC Grégory

    GALLIC Grégory Il y a 8 années

    Merci Simon pour ces nouveaux exemples qui viennent enrichir le modèle. Je placerais Udemy Teach dans le Core Business et les fournisseurs LMS plutôt en périphérie, Over The Top (mais ça se discute tant ils diversifient leurs services).

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Stéphane Mercier Il y a 8 années

Article intéressant Grégory. J’ose espérer que les commanditaires, après avoir goutés au pure player (distribution digitale) choisiront de revenir aux valeurs : Proximité, contact humain, conseils adaptés à l’individu présent (à l’image du Bio, ou retourner dans une librairie pour sentir l’odeur du livre…).

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    GALLIC Grégory

    GALLIC Grégory Il y a 8 années

    Merci Stéphane. De mon point de vue, Digital ET Humain ne s’opposent pas, bien au contraire. Souvent, ce n’est d’ailleurs pas la techno qui fait la différence mais les usages et les services offerts (la proximité, les conseils et les contacts que tu évoques). Ces nouveaux acteurs placent d’ailleurs l’expérience client au cœur de leurs préoccupations. A nous de proposer le meilleur mix Digital et Humain afin de gagner la préférence client !

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MARC BOSSERT Il y a 8 années

très int. cette articulation nouveaux BM/ transfert sur le secteur formation / création de valeur
à partager sans compter 🙂

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Mulet Il y a 8 années

Excellente analyse. Il est urgent de ne pas s’endormir!!!

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TROUPEL Il y a 8 années

Très très intéressant ! Merci.

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Segard Marc Il y a 8 années

Je partage votre analyse .

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Carole Il y a 8 années

Le problème c’est que la réforme est une usine à gaz, qui plus est, elle est longue à se mettre en marche.
Ce qui jouera des tours à tout le monde.

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Valérie Il y a 8 années

Excellent post merci beaucoup.

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jerome wallut Il y a 8 années

Bravo pour cette belle lecture de la grille ICP.
jerome Wallut Associé ICP Consulting

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    Gallic

    Gallic Il y a 8 années

    Merci à vous pour ce modèle structurant qui nous aide à sortir du terme « fourre-tout » d’uberisation et à le clarifier.

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yvesleduc2014 Il y a 8 années

Bonjour
Merci pour ces infos et analyses fort claires.
Dans le core business, il est intéressant de noter que dans l’exemple que vous donnez, le site de formation que vous citez éprouve le besoin de repasser par une certification traditionnelle : une inscription au RNCP .

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    Gallic

    Gallic Il y a 8 années

    Merci pour ce feedback et pour cette remarque pertinente. En effet, je pense que les différents acteurs(traditionnels / nouveaux) ne s’opposent pas forcément. Les acteurs traditionnels doivent évoluer pour offrir une expérience client plus riche (omnicanal notamment – voir autre billet http://www.formation-professionnelle.fr/2015/09/14/lexperience-apprenant-au-coeur-de-notre-transformation-digitale/) et les nouveaux doivent aussi s’adapter aux pratiques d’un marché règlementé (même si la dérégulation est en marche – cf. réforme)

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