Etes-vous un formateur constructiviste ?

Par le 15 décembre 2012

Dans un billet précédent, nous avons pu mesurer à quel point le behaviorisme imprègne les pratiques de formation.

Une autre approche est venue se superposer : le constructivisme.
Un nouveau billet pour faire le point sur les implicites de votre pratique de formateur.

Une critique majeure du behaviorisme vient de ce qu’il se focalise sur les comportements observables attendus des apprenants. Or  tous les apprentissages ne sont pas observables, en particulier lorsqu’ils sont complexes. Le behaviorisme évacue la question de la « boîte noire », de ce qui se passe dans le cerveau de l’apprenant. Les chercheurs en sciences cognitives  la remettent au centre de la recherche sur les apprentissages.

Le constructivisme : une théorie des structures mentales

Dans les années 50, Georges Kelly développe la « Personal Construct Psychology » : les « construits » sont « des structures mentales qui déterminent les comportements des individus, leurs pensées et leurs impressions », et qui sont utilisées pour « anticiper et prédire les événements ».

Il inspire les travaux des psychologues cognitivistes. Pour eux, ce sont les activités mentales et les processus qui se rapportent à la connaissance – la cognition – qu’il importe d’étudier, et non les comportements observables.

Parmi eux, Jérome Bruner aura une influence déterminante sur une nouvelle façon de penser la pédagogie.

Bruner s’intéresse à la façon dont nous forgeons les concepts. Il montre que nous opérons une catégorisation : nous regroupons des concepts, des objets, en fonction de leurs similarités, dans des catégories. Plus nous apprenons, plus nous distinguons finement les catégories.

« Percevoir, c’est catégoriser, conceptualiser, c’est catégoriser, apprendre c’est former des catégories, prendre des décisions, c’est catégoriser » dit Bruner.

Ainsi, un petit enfant voit un gros objet roulant et rouge passer devant lui en faisant beaucoup de bruit. « Camion ! » dit-il. « Oui » dit sa maman. Le lendemain, voyant passer un gros objet roulant, rouge et bruyant devant lui, il dit : « Camion ». « Ah non, c’est un autobus ! » dit la maman. Petit à petit, par « accommodations » successive, l’enfant apprendra donc à reconnaître les critères discriminants –les attributs –  qui doivent être rassemblés pour appartenir à la catégorie « autobus », à la catégorie « camion », le tout appartenant à une plus grande catégorie « véhicules automoteurs »… : les catégories sont hiérarchisées.

Apprendre, c’est donc faire de plus en plus de distinctions entre des objets ou des concepts qui au départ paraissent indistincts. Pour « apprendre » le concept de camion, l’enfant doit identifier les attributs (les caractéristiques) qui doivent être réunies pour que l’on soit en face d’un camion, le poids relatif de ces différents attributs (c’est toujours un camion s’il manque une roue), le fait que certains attributs sont constants (un moteur) d’autres non (la couleur)…

Pour Bruner, cet apprentissage se fait par induction : c’est en voyant de multiples exemples de véhicules automoteurs, en comparant leurs attributs, que l’enfant construira des classes fines de concepts.

Bruner s’appuie beaucoup sur les travaux de Piaget, et en particulier sur la théorie de l’accommodation. Par « l’accommodation », l’individu se modifie pour s’adapter au milieu. En l’occurrence, il s’agit d’une modification mentale.

Il est également influencé par Vygotsky, qui explore le rôle des interactions sociales dans les apprentissages.

Pour les constructivistes, donc, apprendre est un processus actif, dans lequel l’apprenant construit de nouvelles idées ou concepts à partir de ses représentations existantes. L’apprenant sélectionne et transforme des informations, pose des hypothèses, prend des décisions, à partir de sa propre structure cognitive. Cette structure cognitive (les représentations mentales) lui fournit le cadre dans lequel il organise ses expériences et donne du sens. L’approche constructiviste fait donc de l’apprenant – y compris de l’enfant- un solveur actif de problèmes.

Applications pratiques du constructivisme pour la formation

Le premier pédagogue constructiviste identifié est … Socrate. Par un dialogue actif, il encourage son élève à découvrir les principes par lui-même. Le rôle du formateur, dans cette approche, est de traduire l’information à apprendre dans un format approprié au bagage de connaissance et aux représentations actuelles de son apprenant. La progression doit permettre à l’apprenant d’apprendre en permanence à partir de ce qu’il sait déjà.

Bruner dégage trois principes pour la conception :

  • La formation doit se référer à des expériences et des contextes qui engagent l’apprenant à apprendre. Elle doit le prendre « là où il est », tenir compte de sa maturité (readiness) à suivre un enseignement.
  • Le contenu doit être structuré, mettre en évidence les relations entre les éléments, pour permettre la catégorisation. Les détails sont mieux retenus lorsqu’ils sont reliés aux concepts majeurs, eux-mêmes liés entre eux.
  • Elle doit être séquencée « en spirale », de manière que l’apprenant apprenne en continu à partir de ce qu’il sait déjà, en passant d’un mode de représentation à l’autre (de l’action au mode symbolique).
  • Elle doit amener l’apprenant à aller au-delà de l’information qui lui est donnée. Le but est d’augmenter la capacité de l’apprenant à traiter l’information et à résoudre des problèmes. La pensée analytique et la pensée intuitive doivent toutes les deux être encouragées et récompensées.
  • Les modes de récompenses  privilégiés sont intrinsèques (le plaisir d’avoir trouvé) à la différences de ce que prônent les behavioristes (les félicitations, la récompense).

Que faites-vous si vous êtes un formateur « constructiviste » ?

Vous privilégiez la méthode pédagogique « de la découverte » : vous créez des situations problèmes (études de cas, simulations, projets à conduire, recherches à mener…) qui amènent vos participants à apprendre par induction.

Vous privilégiez l’apprentissage collaboratif, les interactions sociales.

Vous vous positionnez avant tout comme médiateur, un facilitateur : dans votre esprit, votre rôle n’est pas tant de « transmettre » que de rendre accessible le savoir (connaissances habiletés, procédures d’actions…).

Vous individualisez votre pédagogie, pour prendre chacun « là où il est ».

Dans votre travail de conception, vous analysez finement les concepts clés faisant l’objet de la formation. Pour en faciliter l’appropriation, vous les représentez, ou vous aidez vos participants à les représenter, sous forme visuelle, à l’aide de cartes mentales ou de cartes conceptuelles. Lors de vos évaluations, vous vous assurez que les liens entre les concepts, leur hiérarchisation, ont bien été compris. A ce sujet, lire « La théorie qui sous-tend les cartes conceptuelles et la façon de les construire », par Joseph Novak.

Alors, behavioriste ou constructiviste ? Ou peut être… connectiviste ? A suivre…

Sources :

http://www.instructionaldesign.org/theories/constructivist.html

Britt-Mari Barth Jérome Bruner et l’innovation pédatogique

Britt-Mari Barth Le savoir en construction. Retz

F. Raynal, A. Rieunier. Pédagogie : dictionnaire des concepts clés. ESF

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dirare abdesselem Il y a 10 années

Bonjour Mathilde Bourdat et c’est moi qui doit vous remercier pour plusieurs raisons : pour votre article qui manifeste la vigilance des vrais chercheurs et non pas des pseudo couronnés, et surtout pour votre modestie qui n’est pas une qualité que tout le monde peut avoir , merci infiniment encore une fois. Et pour le reste de mon commentaire que je n’ai pas pu enregistré parce que le nombre des termes est limité comme vous avez dit, je peux ajouter le suivant:
– La nature des attentes des enseignants (positives ou négatives) sont déterminantes dans l’apprentissages des derniers
– La nature de la stratégie d’apprentissage est determinante de la nature de cet apprentissage
– L’organisation scolaire est determinante du produit des apprentissages et de leur qualité
-La nature des motivations (internal or external) chez les apprenants est determinante de leur apprentissage.

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Mathilde Bourdat

Mathilde Bourdat Il y a 10 années

@Dirare Abdesselem Bonjour et merci pour votre contribution.
En fait les nombreuses références que vous citez se relient plutôt au courant « socio constructiviste », mais je crois qu’il est en effet plus fécond de tirer le meilleur de toutes les recherches, et surtout de prendre dans chacune les solutions les plus adaptées à nos apprenants, au contexte de la formation, et aux objectifs visés.
Malheureusement on ne peut pas lire la fin de votre commentaire, je pense que le nombre de caractères est limité : je vous suggère de remettre la fin dans un nouveau commentaire.

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Dirare abdesselem Il y a 10 années

Je suis formateur depuis plus de vingt ans et je ne suis ni behavioriste ni constructiviste, je ne peux pas nier l’importance ultime de plusieurs idées de Piaget mais depuis que je me suis ouvert sur ce qu’on appelle actuellement « New pedagogical thinkig »(la nouvelle pensée pédagogique et principalement en lisant les travaux de Albert Bundura, John Biggs, Noel Entwistle, Moore, Rogoff, Rutter, Mc Dill, Mc Nill….(sachant que tous ceux-ci s’inspirent du grand psychologue et linguiste et…Russe Lev Semionovitch Vygotsky qui a quitté notre monde très tot …. , je dis que depuis que j’ai lu des œuvres de ces nouveaux chercheurs dans le domaine de l’éducation en général, j’ai arrêté de tâtonner puisque je me suis trouvé devant des formulations scientifique de plusieurs phénomènes éducatifs et pédagogiques, et je donne des exemples :
1- développement du métacognitif entraine le développement de la mémoire et des valeurs

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Mathilde Bourdat

Mathilde Bourdat Il y a 11 années

@Françoise (et Valérie): merci pour votre vigilance!

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Françoise lemaire Il y a 11 années

Bjr Mathilde. Je me permets de vous signaler une cOquille ds le texte, un titre:êtes vs….constructiviste et non béhavioriste. Aucun intérêt de fond à cette rq j’en conviens! Merci de nouveau pour ces rappels fort bien documentés.

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